Une petite révolution dans le secteur du transport routier de marchandises
Le projet de loi Macron « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques » a été amendé le premier juillet dernier et la nouvelle mesure adoptée concerne directement le milieu du transport routier.
Jusqu’à présent, ce secteur échappait à la directive européenne de 1996 qui prévoit que les travailleurs détachés dans un autre pays de l’Union européenne soient soumis au régime de rémunération et aux conditions de travail du pays dans lequel ils se trouvent (à l’exception des cotisations sociales qui sont dues dans le pays d’où ils sont originaires).
La nouvelle mesure prévoit que les chauffeurs routiers étrangers travaillant en France soient désormais payés au SMIC tricolore, si ce dernier est supérieur à celui de leur pays d’origine (et indépendamment de leurs cotisations sociales qui restent acquittés dans ce dernier). Elle stipule également que les routiers devront être munis d’une attestation de détachement sur le territoire national délivrée par leur employeur, ainsi que de leur contrat de travail prouvant la légalité de leur situation.
Une loi pour lutter contre le dumping social et la concurrence de l’Europe de l’Est
Ces mesures ont vocation à encadrer les écarts de rémunération entre les différents pays européens afin que le transport routier tricolore puisse faire face à la concurrence des pays slaves qui ne cesse de s’intensifier depuis 1993. En effet, d’après Eurostat, les différences de salaires des transporteurs de marchandises européens sont considérables.
Dans la fourchette basse, on retrouve entre autres des pays comme la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie ou encore la Pologne avec des salaires compris entre 157 € et 372 € par mois. Viennent ensuite l’Espagne, le Portugal, la Grèce, Malte et la Slovénie avec une rémunération mensuelle allant de 566 € à 784 €. Enfin, en haut du panier on retrouve notamment le Royaume-Uni, la France, l’Irlande ou l’Allemagne avec des salaires allant de 1264 € à 1874 € par mois.
Pas étonnant donc que la concurrence soit si féroce dans le secteur. Et la France est l’une des premières à en partir. Depuis la libéralisation des échanges en Europe le transport tricolore a décliné de plus de 40% à l’international, là où les transporteurs polonais par exemple détiennent désormais 25% de ce marché.
Et c’est au cabotage que l’on doit une grande partie de ce phénomène : dans les 7 jours suivant la livraison ayant justifié son entrée sur le sol français, un transporteur étranger peut réaliser trois autres opérations de chargement et de livraison sur le territoire national (comme cela est autorisé par la directive européenne sur le transport). Le problème est que cette pratique tombe bien souvent dans le domaine de l’illégalité. En effet, bien des transporteurs ne se limitent pas à une semaine et à trois livraisons. Selon le ministère des transports, près de la moitié des véhicules contrôlés en 2015 étaient immatriculés à l’étranger et près de 10 000 d’entre eux étaient en situation de cabotage irrégulier en France.
Une mise en oeuvre et des contrôles qui s’annoncent complexes
Les différents calculs nécessaires à la bonne application de cette mesure s'annoncent déjà comme un casse-tête comptable pour les entreprises. Ce à quoi des experts ont répondu que les logiciels de gestion de flotte de plus en plus répandus faciliteraient la tâche. De même, se pose le problème des sociétés de transport françaises qui ont ouvert des filiales à l’étranger, et souvent dans les pays leur faisant le plus concurrence pour justement lutter contre ce phénomène.
Les contrôles que les pouvoirs publics vont devoir effectuer ne semblent pas évidents non plus. Il leur faudra en effet s’assurer que les différents salaires sont bien appliqués en fonction du pays dans lequel leurs conducteurs se trouvent. Des contrôles aléatoires au bord de la route sont prévus, mais cela sera-t’il suffisant ? Il est également difficile de croire que les conducteurs de poids lourds auront constamment sur eux leurs bulletins de salaires des 18 derniers mois, comme cela est prévu par la loi…
Enfin n’oublions pas le poids de la Commission européenne qui, depuis l’entrée en vigueur de cet amendement, a envoyé une lettre de mise en demeure à la France, comme elle l’a fait pour l’Allemagne et la Belgique avec qui elle bataille depuis. L’affaire reste donc en cours et est à suivre de près si vous êtes à la tête d’une flotte de véhicule transportant des marchandises au sein de l’espace Schengen.